Wes Hall, entrepreneur primé établi à Toronto, décrit fièrement son parcours : « D’une cabane en tôle en Jamaïque au sommet du monde des affaires au Canada ». Fondateur et président de Kingsdale Advisors, cabinet-conseil numéro un au Canada, Wes Hall est un véritable exemple de réussite durement obtenue.
« Lorsque j’ai voulu lancer Kingsdale, j’ai eu de la difficulté à obtenir du soutien et j’ai dû trouver quelqu’un qui me ressemblait et qui croyait en ma vision », raconte Hall Même s’il connaît un succès grandissant depuis la création de Kingsdale en 2003, Hall a constaté que les entreprises canadiennes ne faisaient pas beaucoup de place aux gens comme lui « Je n’ai jamais vraiment vu beaucoup de visages noirs au conseil d’administration ou à la haute direction et, à certains moments, je trouvais cela presque normal », déclare Hall.
Fort d’une voix et d’une plateforme grandissantes (seulement cette année, Hall a lancé un nouveau balado en partenariat avec la TorStar Corporation, intitulé « Between Us », qui vise à faire entendre la voix des Noirs, il a reçu un doctorat honorifique de l’Université Ryerson et de l’Université d’Ottawa, et il est devenu le tout premier juge-investisseur noir à l’émission Dragon’s Den, à CBC). Il se donne maintenant pour mission de remettre en question les normes du monde des affaires au Canada et de faire de son histoire une histoire plus courante.
Pour Hall, il s’agit d’une affaire personnelle. « Quand George Floyd a été assassiné, je me suis regardé dans le miroir et je l’ai vu, lui. La police n’a vu qu’un homme noir, et c’est aussi ce que j’ai vu dans mon miroir », dit Hall.
« Tous ces problèmes systémiques ont eu un impact sur moi tout au long de ma vie. Je me souviens de toutes les fois où un client m’a remis ses clés[for valet parking] pour que j’aille garer sa voiture en quittant un hôtel, ou de toutes les fois où les gens ont pensé que j’étais un trafiquant de drogue en raison de la voiture que je conduisais. Même si j’étais parfaitement présentable, on m’a toujours traité différemment. »
« En tant qu’homme d’affaires, j’ai décidé de lancer un défi aux entreprises canadiennes. Je me suis dit : « Commençons par nos propres entreprises et voyons ce qui s’y passe. » »
En mai 2020, après le meurtre brutal de George Floyd, Hall a lancé BlackNorth, une initiative visant à lutter contre tous les aspects du racisme anti-Noirs en adoptant une approche axée sur les affaires. L’objectif de l’organisation est de réunir des entreprises partenaires dans tout le Canada pour non seulement accroître la diversité au sein de leur propre personnel, mais aussi pour soutenir les entrepreneurs noirs en devenir et les initiatives qui éliminent les obstacles à l’emploi et à la mobilité sociale. La BNI a lancé son manuel de stratégie des affaires unique en son genre en novembre 2021, un outil gratuit que les chefs d’entreprise et les organisations peuvent utiliser. Il est accompagné d’un guide étape par étape qui les aidera à atteindre leurs objectifs en matière de diversité, d’équité et d’inclusion en devenant des citoyens plus justes et équitables.
Le défi que doivent surmonter les Canadiens noirs était évident dès le début. Hall déclare : « Commencez au niveau des conseils d’administration et demandez-vous pourquoi ce pays compte 3,5 % de Noirs, mais qu’il n’y en a pas un seul dans les conseils d’administration de nos entreprises. On peut en dire autant de la haute direction et de nos bassins de talents. »
En analysant plus en détail les chiffres, Hall souligne que cette représentation n’a guère changé, alors même que le monde des affaires affirmait son engagement à lutter contre le racisme systémique à la suite du meurtre de George Floyd. « Si nous regardons les entreprises inscrites à la Bourse de Toronto (TSX) en 2020, lorsque l’attention du monde entier était portée sur le mouvement Black Lives Matter et que les entreprises ont décidé qu’elles allaient faire quelque chose, il n’y avait que 17 administrateurs noirs », dit Hall. « Ce nombre est maintenant passé à 19. À ce rythme, il faudra encore attendre 33 ans avant de voir un changement significatif! »
Hall ajoute : « Certaines entreprises se sont vantées d’être très diversifiées, et peut-être l’étaient-elles sur la base du sexe, mais pas sur le plan racial ou culturel. Nous devons nous pencher sur la définition de la diversité et inclure les personnes autochtones, noires et de couleur, ainsi que les personnes LGBTQ+ et les personnes ayant un handicap. Nous finissons par voir très peu de personnes dans ces catégories, donc les entreprises ne sont pas aussi diversifiées qu’elles le pensent. »
Selon Hall, l’objectif de l’Engagement du PDG de BlackNorth, qui compte actuellement plus de 500 signataires, est « d’examiner tous les niveaux de carrière et de s’assurer de cibler délibérément les personnes issues de la communauté noire ». Chaque signataire s’est engagé à partager non seulement ses pratiques exemplaires, mais également à faire part de ce qui n’a pas fonctionné lorsqu’est venu le temps de créer des environnements inclusifs et d’atteindre l’objectif de l’initiative, à savoir que les professionnels noirs représentent 3,5 % des dirigeants d’entreprise.
La troisième promesse de l’Engagement du PDG de BlackNorth représente ce que Hall considère comme une pratique exemplaire essentielle parmi les dirigeants : une transparence radicale et la reconnaissance des problèmes qui n’ont pas encore été résolus. Selon Hall, c’est le fait de ne pas mettre en commun nos idées et nos pratiques exemplaires qui nous empêche d’avancer. Nous avons indiqué que nous allions partager nos pratiques, même si certaines personnes ne sont pas fières des renseignements qu’elles possèdent. Mais nous ne pouvons pas résoudre les problèmes sans ces renseignements! »
Le partage des pratiques et tactiques exemplaires peut inclure une transparence totale dans le détail du processus de recrutement actuel d’une entreprise, qui, dans de nombreux cas, consiste simplement à ce que les dirigeants recrutent à même leur propre réseau ou limitent leur recrutement à certains canaux, ce qui entraîne une homogénéité dans la direction. Hall mentionne qu’il s’est entretenu avec le PDG de JP Morgan, Jamie Dimon, et qu’il a discuté de la façon dont l’organisation a cessé d’embaucher exclusivement des étudiants d’Oxford, où seulement 1 % de la population étudiante est noire.
En nommant le problème et en identifiant ses racines, Hall voit une occasion pour les dirigeants d’avoir une bonne discussion et de repenser leurs pratiques, comme Kingsdale l’a fait. « Le problème, c’est que nous accordons trop d’importance aux compétences », affirme Hall. « Lorsque j’ai lancé Kingsdale, beaucoup de membres des minorités ont postulé, et je m’occupais moi-même de tous les entretiens d’embauche. J’ai toujours reconnu l’expérience que ces gens avaient à l’international. S’ils avaient travaillé 20 ans dans l’industrie, je reconnaissais cette expérience, peu importe dans quel pays ils l’avaient acquise. S’ils parlaient plusieurs langues, comme c’était le cas de beaucoup d’entre eux, je savais qu’ils avaient du potentiel et je le mettais au service de mon entreprise. Pour tout cela, je suis très fier.
Hall espère que cet Engagement sera un catalyseur qui permettra aux entreprises de discuter ouvertement de certaines pratiques d’embauche actuelles qui ne favorisent pas la diversité et l’inclusion en milieu de travail, comme le fait de se limiter à certains réseaux ou de mettre l’accent uniquement sur l’expérience et les compétences traditionnelles. Il souhaite également que le monde des affaires tire des enseignements des entreprises qui ont opté pour d’autres pratiques plus inclusives et qui ont vu leur rendement s’améliorer. Selon Hall, ces discussions sont essentielles pour démontrer que la diversité aidera les entreprises à se développer et à obtenir de meilleurs résultats.
Hall reconnaît que le racisme systémique ne peut être combattu uniquement par la composition des conseils d’administration, et que les obstacles se dressent bien avant l’entretien d’embauche pour un poste de direction.
L’une des priorités de Hall estl’accession à la propriété grâce à un programme de transition. « L’une des choses que nous savons, c’est que l’accession à la propriété peut créer une richesse générationnelle, et que c’est dans la communauté noire que l’on retrouve le niveau le plus bas d’accession à la propriété au Canada. La communauté noire ne peut tout simplement pas créer une richesse générationnelle et obtenir une certaine indépendance financière si cela continue. Comment se payer une éducation ou lancer une entreprise si l’on ne peut pas tirer parti de sa maison, comme je l’ai fait pour fonder Kingsdale? » affirme Hall
« Nous examinons l’ensemble de l’écosystème et étudions le racisme sous tous ses angles, mais nous faisons appel à nos partenaires pour nous aider à résoudre ces problèmes. », explique Hall. « Oui, nous voulons que vous défendiez la diversité en entreprise, mais aussi que vous la fassiez évoluer au sein de la société grâce à vos ressources. »
En fin de compte, l’initiative BlackNorth sera jugée en fonction de l’ampleur de l’adoption de sa mission par les signataires de l’Engagement et du nombre de ces dirigeants qui adopteront la philosophie de Hall, selon laquelle l’influence des entreprises doit être exploitée pour d’autres initiatives dont les Noirs bénéficient au-delà du monde des affaires.
Parmi les partenaires qui ont signé l’Engagement de BlackNorth, nombreux sont ceux dont les bassins de dirigeants et de talents n’incluaient aucune personne issue des minorités, comme le soulignait Hall. De plus, les partenaires arrivent parfois avec un certain bagage qui ne crée pas nécessairement les meilleures conditions pour les personnes noires.
Hall insiste : « Il n’y a pas de honte à cela, mais il faut être transparent, et nous espérons voir un changement radical d’ici cinq ans. » Alors que de nombreuses entreprises canadiennes partent littéralement de zéro, les initiatives de BlackNorth, telles que l’Engagement du PDG ainsi que son guide sur la diversité, sont un début, mais l’héritage de BlackNorth reposera sur l’inclusion des minorités et sur l’adoption par les signataires d’un tout nouveau cadre éthique et d’une nouvelle approche d’entreprise.