La façon dont les Canadiens travaillent, et les compétences dont ils ont besoin pour s’épanouir professionnellement, sont notamment dictées par les changements technologiques et démographiques que nous connaissons actuellement, ainsi que des bouleversements comme la pandémie de COVID-19. Ces changements sont difficiles à prédire et nous ne les comprenons pas encore pleinement.
Zabeen Hirji, conseillère à l’échelle mondiale dans le cadre du programme L’avenir du travail chez Deloitte Canada, souligne en revanche qu’il est possible pour les employeurs et les employés de travailler main dans la main, en collaboration avec les décideurs gouvernementaux et éducatifs, pour concevoir les modes d’apprentissage qui sauront à la fois préparer la main-d’œuvre aux changements à long terme qui s’opèrent et répondre aux bouleversements immédiats.
Dans une entrevue accordée à Magnet, Mme Hirji a fait part de ses constats sur les conversations qui s’imposent entre les dirigeants et les travailleurs, et comment celles-ci peuvent donner naissance aux formes d’apprentissage continu qu’appelle un monde du travail en évolution constante.
« Des recherches indiquent que dans les prochaines années, nous assisterons à la disparition de certains emplois et à la création de nouveaux types de poste. C’est la gestion de la transition qui représente le plus gros défi », affirme Mme Hirji. Les organisations ont cependant tout intérêt à admettre d’entrée de jeu que les mouvements comme l’automatisation auront des incidences sur l’emploi, puisqu’il devient ensuite possible d’offrir des solutions et de mettre au point des outils d’apprentissage flexibles permettant aux travailleurs d’évoluer dans leur rôle.
Mme Hirji ajoute que « le point d’arrivée n’est pas nécessairement défini avec précision, et les décideurs doivent reconnaître que même s’ils n’ont pas de boule de cristal, ils sont toutefois prêts à miser sur le potentiel de leurs employés ».
L’experte mentionne ensuite un exemple où une institution financière a mis en œuvre un programme en 2018 visant la création d’une feuille de route commune. Des milliers employés ont été rassemblés en petits groupes afin de discuter de l’évolution de l’industrie et des attentes des clients, ainsi que de la façon dont les emplois seront appelés à changer Les dirigeants de l’entreprise n’ont pas eu peur de paraître vulnérables.
Les conversations ont permis de relever les aspects pour lesquels les travailleurs affichent des lacunes d’apprentissage et de créer des formations (numériques et en personne) favorisant les qualités humaines qui permettent de s’adapter.
Mme Hirji décrit l’initiative ainsi : « C’est un exemple de collaboration qui ressort du lot parce que les dirigeants de l’entreprise n’ont pas eu peur d’aborder des questions pour lesquelles ils n’ont pas toutes les réponses. Certaines sociétés affirment que si elles disent à leur personnel que leurs emplois pourraient être touchés ou ne plus être nécessaires, leurs employés s’en iront. Dans ce cas-ci, en revanche, l’inverse s’est produit, et les employés se sont sentis nettement plus motivés après avoir entendu l’employeur leur parler avec franchise et leur offrir du soutien ».
Pour concevoir de nouveaux modèles d’apprentissage et d’amélioration des compétences pour les travailleurs, il est impératif que non seulement les discussions et les apprentissages se fassent en continu, mais que les gouvernements et le secteur postsecondaire soient impliqués.
Mme Hirji avance que le cheminement de carrière typique ne correspondra plus au modèle études-travail-retraite. La carrière de certains travailleurs pourrait être ponctuée de congés de parentalité et d’études à temps partiel, ou alors de formes d’apprentissage au travail même, par exemple. L’apprentissage et la préparation de carrière au sein des établissements d’éducation postsecondaires ne seront plus l’apanage des jeunes adultes.
« En ce qui a trait à l’apprentissage continu et à l’amélioration des compétences, le Canada est actuellement en milieu de peloton parmi les pays du G20. Ce n’est pas suffisant pour réaliser une prospérité inclusive. Il est crucial que les décideurs, tant chez les établissements d’éducation postsecondaires que les gouvernements ou les entreprises, s’allient pour améliorer la résilience professionnelle des travailleurs canadiens », évoque Mme Hirji. « N’oublions pas que les employeurs vivent actuellement une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Parvenir à une solution est à l’avantage de tous ».
Pour réussir les transitions imposées par la pandémie de COVID-19 et pratiquer le télétravail de façon productive, les Canadiens ont eu recours aux compétences clés que sont l’adaptabilité, la communication, la collaboration et l’empathie.
Mme Hirji estime que travailleurs et employeurs peuvent préparer le terrain pour relever à nouveau de genre de défis en renforçant les capacités et d’apprentissage des travailleurs et leur confiance à cet égard. Pour ce faire, un travailleur doit avoir accès à des formes d’apprentissage de façon continue au courant de sa carrière.
Mme Hirji souligne deux façons dont les employeurs, les établissements d’éducation postsecondaires et les gouvernements peuvent investir conjointement dans l’apprentissage continu.
Les microcertifications : Ce terme désigne des programmes ou des cours condensés qui permettent aux utilisateurs de démontrer leur maîtrise de compétences générales (que Mme Hirji appelle les compétences humaines) ou techniques. Les microcertifications ont une portée beaucoup plus limitée que les programmes à plus long terme, et se rapportent généralement à une seule compétence.
« Un nombre grandissant d’organisations songent à mettre en œuvre de façon progressive des microcertifications, mais elles ont intérêt à presser le pas et à mettre à l’échelle ces initiatives », d’affirmer Mme Hirji.
« Je préconise une approche proactive, c’est-à-dire ne pas attendre qu’une personne se retrouve au chômage pour lui donner des moyens d’acquérir de nouvelles compétences, surtout si elle occupe un emploi voué à disparaître ou à se transformer. Par exemple, j’aimerais que les gouvernements perçoivent la formation professionnelle et l’assurance-emploi comme un seul avantage; une portion des prestations pourraient permettre au bénéficiaire de suivre des formations ciblées et à recevoir d’autres formes de soutien systémique pendant la période de chômage. Procéder ainsi serait non seulement bénéfique pour l’économie, mais le coût social des pertes d’emploi pourrait aussi être réduit. C’est la meilleure approche sur tous les plans ».
Dans ce scénario, les parties prenantes collaboreraient pour concevoir de nouveaux modèles qui donnent aux travailleurs des options flexibles d’apprentissage en cours de carrière. Avec de tels cours moins longs au contenu plus facile à suivre (et à plus forte raison s’ils tiennent compte des besoins de l’industrie), les travailleurs disposeraient d’une meilleure flexibilité pour développer leurs compétences.
Les accommodements en matière d’horaire pour l’apprentissage continu : « Les employeurs et les travailleurs doivent se montrer proactifs, mais certains problèmes pratiques demeurent », admet Mme Hirji. Les travailleurs doivent avoir accès aux modes d’apprentissage continu, mais ils ont aussi besoin de temps pour suivre ces formations.
Il existe selon Mme Hirji d’intéressants modèles de financement et de prestation à étudier.
« Par le biais de crédits d’impôt ou de soutien direct, il serait possible de permettre aux employés des milliers de PME de partout au pays de consacrer une journée par semaine à leur formation, en mode formel ou autonome. », avance-t-elle. « Une mesure complémentaire pourrait s’ajouter par laquelle un stagiaire ou un autre employé a la chance d’assumer le rôle de l’apprenant lorsque celui-ci est absent. Ce modèle pourrait valoir le coup parce que les employés se perfectionnent pour garder leur emploi ou pour décrocher un poste plus avancé ».
Les travailleurs n’auraient ainsi pas à s’absenter du travail pour de longues périodes ou à attendre d’être sans emploi pour améliorer leurs compétences.
Le fil conducteur des stratégies mises de l’avant par Mme Hirji est la capacité des décideurs, tant en affaires que dans le secteur public, à faire preuve d’ouverture et d’empathie pour écouter les préoccupations des employés et y répondre de façon réfléchie.
« À l’heure où on se parle, nous composons avec les effets de la pandémie, mais l’avenir nous réserve d’autres crises. C’est le côté humain qui nous a servi à mener pendant les turbulences actuelles, et c’est grâce à lui que nous avons permis aux gens d’offrir le meilleur d’eux-mêmes dans un contexte très difficile », conclut Mme Hirji. « De nombreux dirigeants ont aussi accordé une grande priorité à la santé mentale et à la résilience. J’ai la conviction que nos leaders savent utiliser leur côté humain au travail et continueront de montrer le chemin avec empathie et compassion, un facteur déterminant pour que nos travailleurs soient outillés pour le succès dans le monde du travail de demain, qui est au fond déjà le nôtre ».