À compter du 2 juin 2022, l’Ontario deviendra la première compétence canadienne où les employeurs devront disposer de politiques écrites garantissant aux employés le droit de se déconnecter de leur travail et de s’abstenir de toute communication liée au travail en dehors des heures de travail.
Qu’est-ce que cela signifie pour les travailleurs, en particulier pour ceux qui effectuent régulièrement des heures supplémentaires ? Que doivent savoir les employeurs à l’approche de cette échéance ? Pour l’instant, il est difficile de se prononcer sur l’impact de ce changement. Même si la législation part d’une bonne intention, les observateurs juridiques affirment qu’elle reste imprécise et peu pratique dans sa forme actuelle, et qu’elle comporte un risque de problèmes imprévus.
Au lieu d’attendre que les choses se clarifient, certains employeurs anticipent la situation en incitant leurs employés à prendre le contrôle de leur temps de manière à assurer un meilleur équilibre. Ils offrent également des outils pour aider les travailleurs à se déconnecter plus facilement de leur poste, en particulier pour ceux qui travaillent à domicile.
« Il est beaucoup plus difficile de se déconnecter mentalement quand on ne fait que passer d’une pièce à l’autre », explique l’un de ces chefs d’entreprise, Danish Yusuf, fondateur et PDG de Zensurance. « Nous devons continuer à encourager les gens à établir leurs limites et à désactiver les notifications. »
Au cours des dernières années, la France, l’Espagne et l’Italie ont toutes adopté des lois En 2018, le gouvernement fédéral du Canada a commencé à examiner cette question – au mois de février 2022, un comité consultatif sur le droit de déconnexion a publié un rapport final.
Le gouvernement de l’Ontario a fait preuve de plus de rapidité en adoptant en novembre dernier la Loi de 2021 visant à œuvrer pour les travailleurs. Cette loi exige notamment que les employeurs comptant 25 employés ou plus élaborent des politiques de déconnexion, comme la mise en place de lignes directrices concernant les délais de réponse aux courriels et le fait d’encourager les employés à activer les notifications d’absence du bureau lorsqu’ils ne travaillent pas.
Faisant état d’un manque d’orientation et de directives, Tanya Sambi, avocate spécialisée en droit du travail pour le cabinetMinken Employment Lawyers, a déclaré qu’elle prévoyait une certaine confusion et un manque de clarté dans la mise en œuvre de la législation, une fois la date limite du 2 juin passée.
« L’un des aspects rendant cette législation si peu pratique est qu’à ce jour, aucune précision n’a été donnée sur ce que vous devez intégrer à la politique », a déclaré Sambi. « Les employeurs doivent se débrouiller seuls. Ils pourraient très bien ne rien inclure dans la politique et elle aurait de fortes chances d’être acceptée. »
Alors que certains travailleurs pourraient se réjouir à l’idée d’une tranquillité absolue à la fin de chaque journée de travail, Sambi estime qu’une mise en œuvre trop stricte des règles relatives au droit de déconnexion pourrait pénaliser ou entraver les employés qui sont motivés, souvent pour des raisons financières, à aller au-delà des attentes en matière de disponibilité.
« Un grand nombre de primes sont liées à la performance ou à la façon dont les employés se distinguent des autres », affirme Sambi. « C’est ainsi que cette législation peut nuire à un employé. Même si elle semble destinée à protéger les employés, cette législation pourrait en réalité avoir des répercussions néfastes. »
Bien avant de créerZensurance, Yusuf a appris à programmer sa messagerie. S’il rédigeait un message à l’intention d’un employé alors qu’il travaillait après les heures de travail, Yusuf savait qu’il serait plus sage d’attendre le lendemain matin pour l’envoyer.
Dans le cadre de sa nouvelle entreprise, même avant la pandémie, Yusuf a donné à ses 200 employés de Zensurance répartis dans tout le Canada, la liberté et la flexibilité de gérer eux-mêmes leur emploi du temps. Les employés étaient libres de se ressourcer lors de pauses déjeuner plus longues et de rattraper le temps plus tard dans la journée ou, comme Yusuf l’a fait lui-même, de bloquer des périodes sans réunions en début de matinée, lui permettant de déposer régulièrement sa fille à la garderie.
« Les gens devraient pouvoir établir leurs propres limites et en faire part à leurs collègues », a déclaré Yusuf. « Si la haute direction et moi-même donnons l’exemple, le reste du personnel pourra également se sentir à l’aise de faire la même chose. Les employés sont toujours tenus de faire leur travail et doivent également respecter des cibles et des objectifs, mais s’ils sont responsables de leur temps, ils ont la possibilité de définir leurs limites. »
Les employés de Zensurance sont en outre incités à afficher leurs heures de travail sur le système de messagerie interne de l’entreprise, en indiquant les heures auxquelles ils ne recevront plus de notifications pour la journée et celles auxquelles ils seront de retour en ligne.
Au-delà de ces aides techniques, Yusuf a indiqué qu’un renforcement continu est nécessaire pour aider les employés à trouver le bon équilibre, en particulier pour ceux travaillant à domicile.
« Il faut mettre en place des outils pour aider les employés à se déconnecter, et ensuite, il suffit de leur rappeler constamment qu’ils sont tenus de gérer leurs horaires », a-t-il ajouté. « Nous ne pouvons pas l’exiger. »
Yusuf a indiqué qu’il appartient à chaque propriétaire d’entreprise, en consultation avec le personnel, de déterminer ce qui est raisonnable et équitable lors de l’élaboration d’une politique sur le droit de déconnexion adaptée à son lieu de travail.
Il a également ajouté que « les entreprises doivent réfléchir à la manière dont elles souhaitent impliquer leurs employés, aux attentes qu’elles ont fixées à leur égard et à la possibilité de revoir ces attentes ». « Vous définissez les attentes, vous les communiquez, et vous travaillez ensuite en fonction de ces attentes. »