Les études révèlent que les journalistes doivent acquérir des compétences supplémentaires pour faire face à l’évolution des technologies de l’IA dans les salles de rédaction.
Avec la popularité croissante de l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le monde du travail, de nombreux journalistes s’inquiètent de leur avenir, craignant que l’IA ne devienne un concurrent plutôt qu’un outil.
Angela Misri est professeure adjointe au programme de journalismede Toronto Metropolitan University et chercheuse principale, aux côtés des professeures Nicole Blanchett et April Lindgren, qui travaillent actuellement sur une étude examinant l’impact de l’IA sur les fonctions journalistiques et les limites déontologiques.
Selon Misri, l’un des enjeux de l’intégration de l’IA dans les salles de rédaction est le fait que les journalistes canadiens ne soient pas suffisamment informés sur le sujet. Il est ressorti de ses entretiens que de nombreux journalistes n’avaient pas conscience de ce que représentait l’IA, ou de sa présence dans leur vie professionnelle.
« À ma connaissance, la plupart des journalistes utilisent l’IA, ne serait-ce que le logiciel de base Otter.ai, » a déclaré Misri, en faisant référence au logiciel de transcription synthétiseur du texte à la parole. « Il s’agit d’un programme d’IA. [They are][Ils l’utilisent] déjà beaucoup dans [leur] [their]milieu, mais je ne pense pas qu’ils en soient réellement conscients ».
On constate également un manque de transparence évident en ce qui concerne l’utilisation déontologique de l’IA dans le domaine du journalisme.
De nombreuses personnes interrogées étaient convaincues que tout le monde travaillait dans le respect de la déontologie journalistique, étant donné que les journalistes canadiens respectent les lignes directrices de l’Association canadienne des journalistes.
Si d’autres ont reconnu le besoin d’aborder la question de l’utilisation déontologique de l’IA parmi les journalistes, Misri a souligné que peu de personnes en dehors du monde universitaire avaient déjà eu ce type de conversation.
« Le fait de penser que nous traiterons de cette question ultérieurement m’a semblé un peu absurde, en tant que journaliste et en tant que personne ayant travaillé dans une salle de rédaction », a-t-elle déclaré.
Certains journalistes comparent l’essor du ChatGPT à l’émergence des balados ou de la réalité virtuelle (VR), et ne pensent pas que leur poste sera affecté par l’IA.
« Tout le monde est concerné par l’IA qui fait son entrée dans la salle de rédaction », affirme Misri. « Si votre salle de rédaction décide de publier du contenu sur le même site web que celui sur lequel vous rédigez du contenu, et que ce contenu a été créé par un système d’intelligence artificielle, vous serez également concerné par ce problème ».
Misri compare l’IA à l’introduction du Web, à savoir une force perturbatrice, sans pour autant être destructrice.
Tout comme l’IA, l’introduction de l’Internet a conduit de nombreux journalistes à améliorer leurs compétences, et les salles de rédaction à évoluer. La profession existe toujours, seulement sous d’autres formes.
« Nous nous sommes adaptés, c’est comme ça que je vois les choses. L’Internet a énormément perturbé le journalisme, mais il ne l’a pas pour autant détruit », précise Misri. « Si nous savons faire preuve d’intelligence, nous pourrons utiliser [AI][l’IA] pour améliorer tout ce que nous faisons. Nous pourrons faire en sorte que l’IA se charge du travail qui était auparavant fastidieux, ce qui permettra de donner aux [journalists][journalistes] plus de place et de créativité pour faire le travail qui les intéresse ».
Misri a ajouté que le secteur du journalisme se heurte à un problème de réflexion à court terme et à long terme, en ce qui concerne l’introduction de nouvelles technologies au travail.
Elle cite l’exemple récent de Jonah Peretti, PDG de BuzzFeed, annonçant qu’il utiliserait l’IA générative pour créer des jeux-questionnaires et du contenu pour la plateforme. Cette annonce a été faite au lendemain du licenciement d’environ 15 % des effectifs de BuzzFeed News.
D’après Misri, cette vision à court terme conduit les dirigeants et ceux qui ont de l’argent à considérer l’IA comme une solution plus économique qui remplacera leurs journalistes, plutôt que comme un outil susceptible de leur simplifier la vie et d’améliorer leur travail.
« Si nous étions suffisamment pondérés en tant que secteur, en tant que carrière, et en tant qu’espace, nous serions capables de considérer l’IA en tant qu’opportunité », a-t-elle déclaré. « Mais nous sommes trop nombreux à envisager la situation du point de vue financier, en réfléchissant à la façon dont l’IA nous fera économiser de l’argent, ou à la possibilité de perdre notre emploi ».
Compte tenu de ces constatations, les journalistes doivent se perfectionner et se familiariser avec cette nouvelle technologie, afin de rester à la pointe de l’évolution des pratiques dans les salles de rédaction.
En dehors du milieu universitaire, Misri n’a pas observé beaucoup de discussions ouvertes sur la maîtrise de l’IA.
« Je serais ravie que les entreprises puissent consacrer du temps et de l’argent pour que leurs employés se penchent sur la question, en mettant en place un comité de cinq ou six personnes dont le travail consisterait à déterminer comment améliorer chacun de ces produits journalistiques par le biais de l’intelligence artificielle ».
En tant que journaliste et éducatrice, Misri a pour ambition d’accorder du temps à ses étudiants pour discuter des avantages de la technologie de l’IA dans le domaine journalistique. Les discussions portant sur des outils tels que ChatGPT et autres produits d’IA pourront les aider à se préparer à intégrer le marché du travail.
« Je ne peux éduquer que ceux qui sont prêts à l’être. Je ne peux pas me rendre dans une salle de rédaction de la CBC, et leur imposer mon savoir. J’espère donc que nous nous tiendrons tous informés, et que nous partagerons nos informations sur la manière dont nous utilisons l’IA efficacement ».
Misri recommande également aux journalistes d’assister à des conférences et à des forums éducatifs, et de continuer à lire et à s’instruire sur ces nouvelles avancées par le biais d’un journalisme de confiance.
«[AI is] [L’IA va] être de mieux en mieux comprise dans les salles de rédaction, tout comme cela a été le cas pour le Web. C’est la même chose », a-t-elle déclaré. « Les gens commenceront à comprendre les valeurs et le fonctionnement de l’intelligence artificielle. L’hystérie se dissipera en partie, et nous commencerons à comprendre comment [AI][l’IA] pourra améliorer notre quotidien ».
Misri a récemment présenté les résultats de ses recherches lors de la conférence intitulée Between ideals and practices: Journalistic role performance in transformative times (Entre idéaux et pratiques : la performance du rôle journalistique en période de transformation), qui s’est tenue à Toronto Metropolitan University le 24 mai 2023.